INTERVIEW. Spécialiste du Quai d’Orsay, le professeur Christian Lequesne décrit une « interrogation existentielle » alors que le président Macron se rend ce jeudi au ministère des Affaires étrangères pour clore des Etats généraux.
Les faits – Le chef de l’Etat clôture ce jeudi 16 mars les travaux des Etats généraux de la diplomatie, une initiative lancée après la décision — très mal reçue — de la suppression du corps diplomatique. Ces Etats généraux sont décrits comme « un large travail de consultation des agents — associant également les parties prenantes de l’action extérieure de la France ». Emmanuel Macron devrait « formuler ses attentes pour l’avenir de notre diplomatie, et réitérer son engagement pour que le ministère ait les moyens de ses ambitions », indique l’Elysée.
Emmanuel Macron se rend, ce jeudi matin, au Quai d’Orsay pour y clôturer les travaux des Etats généraux de la diplomatie. Cette visite, la troisième du genre pour le chef de l’Etat, vise à passer de la pommade à des fonctionnaires souvent choqués par la suppression du corps diplomatique, dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique. Selon l’Elysée, ce « déplacement permettra au Chef de l’Etat de témoigner de la reconnaissance aux personnels diplomatiques et consulaires pour leur action en France et à l’étranger, dans cette période tendue où les crises s’additionnent ». L’action du ministère des Affaires étrangères connaît de profondes évolutions, liées à la diversification croissante de ses tâches, avec le besoin d’expertises (économie, climat, etc) au-delà de la diplomatie politique plus traditionnelle. Pour éclairer le débat, l’Opinion a rencontré selon le professeur de sciences politiques, Christian Lequesne, auteur d’une Ethnographie du Quai d’Orsay (CNRS Editions).
La suppression du corps diplomatique, annoncée en 2021, a provoqué beaucoup d’émotion. Où en est-on ?
Cette réforme a été l’occasion de faire ressortir une interrogation existentielle, identitaire sur le métier de diplomate. Elle est révélatrice d’une crise plus large qui touche l’ensemble des diplomaties du monde démocratique. On le voit aux Etats-Unis, au Brésil, dans de nombreux pays européens. Aujourd’hui, en effet, tout le monde peut faire des relations internationales, les différentes administrations, mais aussi les acteurs non gouvernementaux. La question de la valeur ajoutée des diplomates professionnels est donc posée.
En France, toutefois, on est allé jusqu’à la suppression du corps diplomatique…
La manière dont la réforme a été conduite est à l’origine de la crispation. C’est une décision très verticale, à la française, sans consultations. Les Etats généraux de la diplomatie ont d’ailleurs eu lieu après la réforme, alors qu’ils auraient logiquement dû se tenir auparavant.
Que reste-t-il de la spécificité du métier de diplomate ?
La négociation internationale nécessite des compétences professionnelles qu’il faut acquérir. Certes, les diplomates les apprennent sur le tas, même si à l’université, nous enseignons maintenant la théorie de la négociation, avec des exercices de simulation. Le diplomate doit également savoir représenter. C’est-à-dire donner une image positive du pays, non seulement auprès des autres diplomates, mais également de tous les acteurs sociaux. Savoir fabriquer de l’empathie s’apprend. Enfin, il faut savoir rationaliser l’expatriation, surtout dans les pays où le différentiel culturel est important. Ce n’est pas le propre des diplomates, mais j’ai néanmoins quelques doutes sur la mobilité parfaitement maîtrisée des personnels d’autres ministères. C’est une chose d’aller à Bruxelles ou à Ottawa ; c’en est une autre d’être en poste en Guinée-Bissau ou même en Macédoine du Nord.
« Craignant de ne pas être dans la ligne des plus autorités de l’Etat, les diplomates ont tendance à ne pas prendre de risques »
En France, le ministère des Affaires étrangères semble de plus en plus marginalisé par l’Elysée dans la définition et la mise en œuvre de la politique étrangère. Est-ce exact ?
Le poids particulier du président de la République est une caractéristique de la Ve République. Cette contrainte a toujours existé, même si la personnalité de chaque président et la nature du binôme qu’il forme avec le ministre des Affaires étrangères ne sont pas sans influence. Actuellement, le rôle de l’Elysée est très fort. Je ne suis pas certain, par exemple, que les positions du Quai d’Orsay sur l’Ukraine influencent totalement celles du Président. Cette situation place les diplomates dans une certaine fragilité : craignant de ne pas être dans la ligne des plus autorités de l’Etat, ils ont tendance à ne pas prendre de risques.
Cela est-il propre à la France ?
Aux Etats-Unis, le Président a un rôle prééminent, avec son Conseil de sécurité nationale à la Maison Blanche. Mais il est soumis au contre-pouvoir du Congrès, qui joue un rôle très important — jusqu’à la nomination des ambassadeurs qu’il doit approuver. En France, le rôle du Parlement s’exerce a minima, à travers surtout de procédures d’information. En Allemagne, la décision est plus collective en raison de la coalition. Là où en France, les choses peuvent se décider entre trois ou quatre personnes autour du Président, comme le projet de la Communauté politique européenne, elle impliquerait des allers-retours entre une cinquantaine de personnes en Allemagne.
Les affaires européennes relèvent-elles encore de la diplomatie ?
La négociation reste internationale, mais ce n’est plus de la politique étrangère. Elles sont davantagede la politique intérieure, puisqu’il s’agit de décisions obligatoires, qui concernent tous les domaines de la vie quotidienne.
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