Quand la porte de l’avion s’est abaissée, il s’est avancé, seul, il a bondi hors de la carlingue, a couru sur le tarmac, où l’attendaient son père, George Dubois, sa sœur, Canèle Bernard, et, comme le veut la tradition républicaine, le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, venu accueillir le dernier otage français dans le monde à l’aéroport militaire de Villacoublay. Après sept cent onze jours de détention, Olivier Dubois est à nouveau un corps en mouvement.
Le journaliste a d’abord retrouvé sa famille, sa compagne, ses enfants, dans l’intimité d’un salon de l’aéroport. Puis ses collègues de Libé. Tout ce monde ému aux larmes s’est mélangé dans un joyeux bazar, sous les yeux étonnés des responsables de la cellule de crise du Quai d’Orsay. En un instant, le petit salon déborde de vie. Personne ne songe à picorer les amuse-gueule bien alignés sur la table basse. L’ex-otage va bien. Cela se devine à son corps athlétique, cela s’entend à sa voix enjouée. Il parle sans hésitation, passe d’un interlocuteur à l’autre, est interrompu par un coup de téléphone, par son fils Saël qui lui chipe son nouveau portable, reprend le fil de sa pensée, cite des dates avec précision, puise des anecdotes dans sa mémoire, fait rire son auditoire.
On comprend qu’Olivier n’a jamais cessé d’être journaliste, durant les deux ans qu’a duré sa captivité. Il le revendique. Cette curiosité, cette envie de «gratter», de comprendre, de dialoguer avec ses geôliers, l’a animé, l’a aidé à tenir. Comme les mouvements du ba gua zhang, un art martial chinois traditionnel qu’il a continué à pratiquer dans le désert. Comme la cuisine, qu’il s’est obstiné à réaliser dans des conditions précaires. «Tout cela m’a aidé, dit-il. Ce sont des parties de ma vie qui sont importantes, que j’aime, et que j’ai fait ressortir là-bas, ça m’a structuré.» La discussion à bâtons rompus – davantage qu’une interview formelle – que nous avons eue avec Olivier est à l’image de ce moment, heureux, décousu, passionnant, qui a marqué les retrouvailles de Libé avec son correspondant.
Olivier, tu as retrouvé ta famille, tes enfants. Qu’est-ce qui te traverse depuis ce matin ?
Je suis un peu cotonneux. Je suis ultra-content d’être là et en même temps, je ne réalise pas. Parce qu’il y avait des habitudes récurrentes. Je vivais sous des arbres et puis là, il y a beaucoup de monde. Je dois parler à beaucoup de monde. Et puis les gens que j’aime, enfin ! On les imagine, on les écoute à la radio. Donc je suis ultra-heureux mais je ne réalise pas vraiment. C’est un peu comme si j’étais en décalage par rapport à moi-même. Je pense que petit à petit, tout ça va se rephaser et puis je réaliserai. Mais c’est vrai que ça va vite.
Tu as senti que ta libération approchait ?
J’ai été très surpris et ça été rapide. Le 7 mars, trois gars sont venus pour me faire écouter un message audio qui disait : «Tu vas sortir dans quinze jours, prépare-toi.» Ensuite, pas de nouvelles avant le 16. Une moto est venue me chercher, on m’a dit «prends une petite couverture, une bouteille, et tu nous suis». J’étais dans un sas. Le lendemain, Jeffery Woodke [l’otage américain également libéré lundi, ndlr] est arrivé.
C’est à ce moment-là que tu as compris ?
Jusqu’au bout, on est toujours dans le doute. Woodke était très très inquiet, parce que plusieurs fois on lui avait dit «tu pars, tu pars» et ça avait échoué. Il me répétait ça tout le temps, je lui répondais «mais non, ça va marcher». C’est quand on a commencé à bouger avec les pick-up et qu’eux nous ont dit demain, c’est fini, que j’ai compris. Là, tout a été très vite. On a traversé la frontière du Niger, on est monté dans une troisième voiture qui a foncé. On nous a dit de descendre […] et deux militaires nous ont récupérés. On était en plein désert et ils avaient mis un pick-up pour faire de l’ombre et une natte pour faire les premiers check-up médicaux. On était assis, on nous a dit «l’avion va arriver exactement là». Un gros-porteur militaire est arrivé, il a tourné et a atterri là, en plein désert nigérien.
Qu’est-ce qui t’a aidé à tenir pendant cette détention, au cours de laquelle tu dis n’avoir été ni maltraité ni frappé ?
Le sport, s’occuper l’esprit, beaucoup. Cuisiner. Dans tous les cas, s’occuper. Et puis continuer à faire mon métier, c’est-à-dire observer, essayer d’avoir des informations, se donner des buts, essayer de comprendre ça. La cuisine, le ba gua [un art martial chinois, ndlr], tout cela m’a aidé. Ce sont des parties de ma vie qui sont importantes, que j’aime, et que j’ai fait ressortir là-bas, ça m’a structuré.
Tu as donc bien cuisiné ! Car tes proches – ta compagne Deborah, ton ami Marc… –, quand ils parlaient de toi, t’imaginaient en train de faire la cuisine pendant ta détention.
Oui, j’adore faire à bouffer ! J’ai demandé à mes geôliers une cocotte-minute, parce que ce qu’ils faisaient, c’était dégueulasse (rires). Je leur ai dit «écoutez, moi je peux faire mieux, donnez-moi des trucs, une cocotte-minute, je le fais». Et toute la journée pour m’occuper, je cuisinais pour le lendemain matin, je me donnais des défis. Demain, tu fais un gâteau et après-demain tu fais ci. J’arrivais à faire des donuts, des petits pains. Je sais faire du pain sur le feu, fourré avec des dattes écrasées.
Tes geôliers t’ont laissé cette liberté tout de suite ?
Non, ça a mis du temps. Ça a commencé à partir du 2 février 2022 [soit près d’un an après son enlèvement, ndlr]. J’étais dans une prison à ciel ouvert, avec une petite équipe. Je ne buvais que du lait. Je leur ai dit «laissez-moi faire à manger». Et eux, ça les arrangeait. Cela a commencé comme ça et ça a été vraiment salutaire.
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