Au moment de l’ultime Adieu, je voudrais rendre hommage à son Excellence le président Henri Konan Bédié. Cela à travers l’histoire d’une photo qui m’a directement confronté à lui, alors que j’étais étudiant.
HISTOIRE D’UNE PHOTO.
Je ne sais par où commencer mon narratif pour cadrer avec exactitude le contexte historique de cette photo. On va donc partir de 1996.
Le 16 décembre 1996, dans l’après-midi, le Bureau Exécutif National de la FESCI, qui avait adressé une demande d’audience au Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Mr Koné Dibonan (paix à son âme), reçu une invitation à discuter émanant dudit Ministre. En l’absence du Secrétaire Général Soro Kigbafori Guillaume, ce dernier me demanda de conduire la délégation de la FESCI à cette discussion. Ainsi, à la tête d’une délégation composée de Charles Blé Goudé, Secrétaire National à l’Organisation, de Koné Kamaraté Souleymane dit Sool to Sool, Secrétaire National à l’Information et de Gore Sylvanus Mauroy MC Guille, Secrétaire National à l’Education, je me suis rendu au Cabinet du Ministre Dibonan Koné.
Malheureusement, une fois dans les locaux du cabinet du Ministre, on nous fit savoir que celui-ci s’était précipitamment rendu dans la commune de Port-Bouët où un Officier de Police venait d’être tué par des malfrats. Le Ministre avait néanmoins laissé des instructions afin que nous patientions. Il tenait à nous rencontrer. Nous fûmes donc conduits, mes camarades et moi, au bureau du DRG (le Directeur Général des Renseignements Généraux), à l’époque dirigé par feu le Commissaire N’ZI.
Nous fûmes bien reçus par le Maître des lieux et bien installés. Les heures s’égrainèrent et l’attente commença à se faire longue. La nuit commença à tomber, mais point de Ministre. Mon intuition me communiqua un mauvais pressentiment. Le Commissaire N’ZI, quelques instants plus tard reçut un coup de fil. Quand il revint à nous je sentis dans son regard une gêne qui me conforta dans mes mauvais pressentiments. Avions nous visiblement été entraînés dans un guet-apens par nos autorités ? Les minutes qui suivirent allaient confirmer mes prédictions.
Le Directeur Général des Renseignements sortit, on ne sait trop pourquoi, de son bureau, non sans me demander pourquoi j’étais devenu si calme.15 à 20 minutes après son départ, c’est une escouade de policiers de la CRS (Compagnie Républicaine de Sécurité), en deux colonnes de 15 qui fit une entrée fracassante dans le bureau du commissaire N’ZI. Tout le palier fut pris d’assaut. Celui qui semblait conduire l’expédition s’adressa à nous en des termes sans équivoque sur leur intention et sur leur état d’âme : « C’est vous les responsables de la Fesci ? »
« oui, c’est bien nous » avions nous répondu. Et le chef d’équipe de rétorquer « si vous restez tranquilles, tout le monde va rester tranquille. Avancez en une colonne à et notre rythme ». Ils nous avaient encerclés et conduits directement dans une cellule exiguë, au sous-sol de la Sûreté, donc en prison.
Notre sort venait subitement de basculer. Dramatiquement. En l’espace d’une année on venait de se faire arrêter pour la 2ème fois.
Nous passâmes la nuit dans cette cellule, une véritable chaudière. Le lendemain ils nous transférèrent à la Préfecture de Police. Nous y fûmes écroués jusqu’au 24 Décembre, date à laquelle nous avions été déférés au parquet et placés sous mandat dépôt puis conduits à la MACA (Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan) pendant que Abidjan célébrait la fête de la nativité.
Nous avions par la suite été jugés le 7 janvier 1997 puis condamnés à 2 ans de prison fermes et à 10 millions d’amende pour les chefs d’accusations suivants : reconstitution d’association dissoute; trouble à l’ordre public; destruction de biens publics et privés, etc. La même rengaine qui durait déjà depuis quelques années. Seul Kamaraté Souleymane avait été relaxé au bénéfice du doute. Je ne sais de quel doute il s’agissait. Mais on était content pour Sool to Sool qui allait renforcer les camarades sur le terrain.
Notre condamnation avait, comme il fallait s’y attendre, embrasé l’ensemble des Universités du pays ainsi que les Lycées et Collèges. Le Gouvernement avait opté pour la ligne dure. Les arrestations se poursuivaient et se multipliaient. Quelques semaines après, en effet, le Secrétaire Général Guillaume Soro et une centaine d’étudiants nous rejoignirent à la MACA.
Dehors, la grève se radicalisait et perturbait gravement l’ordre public. Au point où le Gouvernement fut obligé de revoir sa copie, adoptant la solution de la négociation.
En fait, certains membres du Gouvernement voulaient résoudre la question de la FESCI par la violence et la répression pour en finir définitivement avec cette organisation. Ce n’était pas l’avis du Président de la République, SEM Henri Konan BÉDIÉ, qui voulait une approche plus souple, plus conciliante car la répression dans le passé n’avait pas eu raison de notre détermination.
Et le Président Henri Konan Bédié venait d’avoir raison sur les va-t- en-guerre du Gouvernement. Il fallait donc négocier avec les étudiants. Option envisagée au départ par le Président.
Ce fut d’abord le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, le Professeur Saliou Touré, qui nous trouva en prison, à la MACA, afin que nous analysions ensemble les voies et moyens de sortie de crise. Ce à quoi nous avions opposé une fin de non recevoir au motif qu’il était inadmissible que ce soit à la MACA que des universitaires (professeurs, étudiants) et les autorités de tutelle se retrouvent pour trouver des solutions aux problèmes de l’Université. La prison n’étant pas l’endroit indiqué à de telles discussions, il fallait que nous sortions d’abord. La rencontre s’arrêta donc sur ce préalable. Le Ministre en prit acte et se retira. L’argument était de toutes les façons imparable et pertinent.
Sur le terrain, la FESCI maîtrisait la situation. Le rapport de force et l’opinion étaient en notre faveur. Ainsi après 70 jours passés en prison, le Président Henri Konan Bédié consentit souverainement à nous libérer pour favoriser les négociations. Le mouvement de grève ne s’arrêta ni ne faiblit pour autant pas.
Après quelques mois d’impasse, le Président de la République, Son Excellence Monsieur Henri Konan BÉDIÉ, décida de prendre personnellement en charge la question de l’Université et d’engager directement, sans intermédiaires, les discussions avec le BEN de la FESCI.
Une rencontre de haut niveau fut donc convoquée à Daoukro, le village natal du Président. C’est l’ex Ministre de la Réconciliation Nationale, Konan Kouadio Bertin dit KKB, à l’époque président de la CERAC, un mouvement estudiantin proche du PDCI-RDA, qui joua le rôle majeur de liaison quand le Président décida de nous rencontrer. C’est ainsi que KKB nous conduisit jusqu’à Daoukro.
La délégation de la FESCI était composée du Secrétaire Général Guillaume Soro et du 2ème Secrétaire Général Adjoint que j’étais. Outre nous, participaient également à cette rencontre feu Djaha Jean, Président de l’UNESCI, un mouvement estudiantin proche du pouvoir tout comme la CERAC de KKB et le Président de la République assisté de certains de ses collaborateurs.
Après les civilités d’usages, la parole fut donné à Guillaume Soro qui fit le point de la situation dans les différents Etablissements Scolaires et Universités paralysés par la grève.
Prenant directement la parole, à la suite de Soro Guillaume, le Président Henri Konan Bédié nous intima pratiquement l’ordre de faire reprendre les cours sans conditions. Ce à quoi nous opposâmes un refus poli tout en démontrant, au Président, le caractère suicidaire pour nous d’une telle démarche. Reprenant la parole, le Président Bédié, visiblement un peu sur les nerfs, nous demanda, dans ce cas de ne faire aucune déclaration une fois rentrés sur Abidjan. Le Gouvernement allait s’en charger en invitant les étudiants dans leur intérêt à reprendre les cours. Soro rétorqua au Président que cette option était beaucoup plus suicidaire que la première. Observer un mutisme absolu au sortir d’une rencontre avec le Président de la République, rencontre que tous les étudiants attendent, serait nous livrer à la vindicte.
L’atmosphère était visiblement tendue et nous étions dans une position inconfortable et délicate. Nous étions après tout en face du Président de la République.
Pour nous cette négociation avec la plus haute autorité du pays ne devait pas échouer, sinon ce serait la catastrophe. Nous étions donc disposés à tout compromis, mais pas
à n’importe quel prix.
À ce stade des choses il nous paru nécessaire de demander une suspension de séance le temps de nous concerter Soro et moi, ce qui nous fut accordé.
Nous étions résolus à faire bouger et agir le Gouvernement avant que la FESCI ne réexamine sa position. Cette pillule ne serait pas passée auprès des étudiants. Ainsi, à la reprise des négociations et dans un dernier sursaut, Soro Guillaume, avec une sérénité déconcertante, fit au Président notre proposition. Sur la dizaine de revendications présentées, il priait le Président d’en resoudre seulement une ou deux ce qui nous donnerait un argument pour suspendre la grève et favoriser la reprise des cours telle que souhaitée par le Président. Mais le Président resta intransigeant et imperméable à cette proposition, nous demandant, avant toute réaction de sa part, d’ordonner la reprise des cours. Nous aussi, en dépit des risques, n’avions d’autre choix que de camper sur notre position. Et ce que nous craignions malheureusement se produisit. Les négociations furent donc un échec.
Toutefois, à notre retour de Daoukro, le Président allait agréablement nous surprendre. En effet, nous fûmes recontactés par la Présidence de la République. Fidèle à une solution pacifique et durable, le Président BÉDIÉ nous proposa une concertation nationale sur l’Ecole afin d’aborder toutes les questions qui minent le système éducatif ivoirien. Cette rencontre aux allures des Etats Généraux sur l’Ecole se déroula au mois d’octobre 1997.
Au terme de cette concertation, le Président Henri Konan BÉDIÉ prit une décision historique qui eu pour conséquence de rétablir l’accalmie et instaurer un climat de paix durable à l’Université. Par cette décision, le Président HKB ramena la confiance ainsi que la cohésion au sein de la communauté universitaire. Cette décision courageuse empreinte d’humilité et de sagesse fut la RÉHABILITATION OFFICIELLE DE LA FÉDÉRATION ESTUDIANTINE ET SCOLAIRE DE CÔTE D’IVOIRE ( FESCI) ainsi que la satisfaction de nos revendications. Ce qui valut à notre Secrétaire Général, au nom de la FESCI, la distinction de l’Homme de l’Année tant nous avions défendu avec maturité et pertinence nos propositions pour une Ecole compétitive en Côte d’Ivoire.
Ce fut un grand honneur fait à la FESCI, et à son combat.
Dissoute arbitrairement en 1991 par un décret qu’on ne nous avait jamais notifié, nous réduisant ainsi dans une lutte semi clandestine, la FESCI redevenait un interlocuteur officiel, légal et légitime des autorités politiques et administratives en ce qui concerne la défense des intérêts des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire. Et cela grâce au Président BÉDIÉ, un homme D’Etat au sens le plus anobli du terme.
En réalité, nous l’apprendrions plus tard, le Président fut hermétique à Daoukro car il voulu tester nos personnalités. Et il fut réjouit d’avoir eu en face de lui ses enfants certes, mais des enfants mâtures, responsables qui savaient ce qu’ils voulaient et qui ont demontré leur capacité à défendre leurs intérêts même dans un contexte périlleux.
Le Président Henri Konan BÉDIÉ nous félicita par la suite pour notre maturité et notre courage qui permirent non seulement d’obtenir la satisfaction totale de nos revendications mais surtout la RÉHABILITATION de notre mouvement la FESCI.
C’est donc au sortir de la rencontre de Daoukro avec le Président Henri Konan BÉDIÉ que la photo fut prise. Dailleurs ce fut la seconde photo car sur la 1ère prise, les visages étaient renfrognés, traduisant ce qui s’était réellement passé dans la salle lors de ces discussions.
Sur cette seconde photo, les journalistes avaient demandé qu’on détende l’atmosphère avec des sourires. Ce qui fut fait.
Voici l’histoire de la photo ci dessous avec Son Excellence le Président Henri Konan Bédié. Un Homme de paix, un Homme conciliant.
Excellence Monsieur le Président, vous nous avez donné une bonne leçon de vie et nous en avons tiré une très bonne expérience qui nous sert jusqu’à présent.
Merci beaucoup Excellence Monsieur le Président HKB, comme on t’appelait affectueusement.
Merci pour tous les services rendus à la nation ivoirienne.
Merci pour le père que vous avez été.
Vous nous avez souvent trouvés récalcitrants, mais dans une famille tous les enfants ne sont pas toujours dociles. Vous nous avez souvent punis comme un papa, mais on a toujours fini par nous entendre, avec vos conseils pleins d’enseignements.
Le 1er Août 2023, il a plu à votre créateur de vous rappeler à lui au moment où la Côte d’Ivoire, ce pays que vous avez servi depuis votre jeune âge, avait encore besoin de vous.
Cependant nous rendons gloire au SEIGNEUR.
Reposez donc en paix Monsieur le Président.
Dormez du sommeil éternel du juste.
Que la terre ivoirienne qui vous a vu naître vous soit légère.
Que Dieu dans son amour illimité vous reçoive dans son Royaume.
Vous avez vécu utile.
𝗗𝗔𝗠𝗔𝗡𝗔 𝗔𝗱𝗶𝗮 𝗣𝗶𝗰𝗸𝗮𝘀𝘀
Ex 2eme secrétaire général adjoint de la Fesci mandat 1995-1998.
Actuel 2eme vice-président du conseil Stratégique et politique du PPA-CI.
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